Contrôle et évaluation : Jean-François ELIAOU, invité du Conseil d’Etat pour la conférence sur les compétences et les outils d’évaluation des politiques publiques.

Contrôle et évaluation : Jean-François ELIAOU, invité du Conseil d’Etat pour la conférence sur les compétences et les outils d’évaluation des politiques publiques.

L’évaluation des politiques publiques a incontestablement connu de grands progrès ces dernières années, à la fois en termes méthodologiques et politiques.

De nouveaux outils, de nouvelles méthodes ont été élaborés par différentes institutions, comme nous avons pu l’entendre ce matin, et je pense qu’il faut s’en féliciter et se saisir de cette opportunité.

En effet nous, législateurs, magistrats, universitaires et spécialistes des finances publiques, ne pouvons plus faire l’économie de l’analyse factuelle et qualitative des politiques publiques que nous construisons, ou co-construisons parfois.

Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, qui ajouté à l’article 24 les rôles de contrôle du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques aux prérogatives du Parlement, l’implication des parlementaires dans l’évaluation s’est développée.

Les commissions permanentes se sont emparées de ces fonctions de contrôle et d’évaluation et produisent de plus en plus de travaux d’analyse, j’y reviendrai.

A l’Assemblée nationale deux d’entre elles ont d’ailleurs leur organe de contrôle interne : la commission des finances a la MEC (mission d’évaluation et de contrôle), créée en 1999 à la suite des conclusions du groupe de travail sur le contrôle parlementaire et l’efficacité de la dépense publique, qui fut l’initiateur de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF)[1] et la commission des affaires sociales dispose de la MECSS (mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale), créée par voie d’amendement en 2004, sur le modèle de la MEC, afin de renforcer le contrôle parlementaire sur les finances sociales.

Le Comité d’évaluation et de contrôle (CEC) a été créée en 2009 afin de conduire des missions d’évaluation au-delà des périmètres des commissions d’une part et de l’approche financière d’autre part, ce qui est très important.

L’Assemblée nationale possède donc des outils et des compétences dédiées à l’évaluation des politiques publiques et au contrôle de l’action du Gouvernement, et elle s’en sert de plus en plus.

Comme je le disais précédemment, nous avons fait un compte rapide du nombre de rapports d’information publiés sous cette législature, soit à peu près à mi-mandat, et l’avons comparé aux travaux publiés sous les précédentes législatures. Je dois dire que je suis assez fier d’appartenir à une assemblée qui travaille plus sur ces sujets que les précédentes, et d’y contribuer !

En effet, à ce jour, soit 2 ans et demi après notre élection, les députés ont publié ou sont en cours de rédaction de 174 rapports d’information (en dehors des travaux de la commission des Affaires européennes). En 5 ans, sous la législature précédente, j’en ai dénombré 208, et 263 entre 2007 et 2012 (toujours en dehors des travaux de la commission des Affaires européennes).

Nous pouvons observer aussi que les semaines de contrôle à l’Assemblée sont de plus en plus fréquentées, par les députés bien sûr mais aussi par les ministres.

Les politiques publiques, et leur évaluation, ça se fait à 2 : le législatif et l’exécutif ! Afin d’inciter le Gouvernement à jouer le jeu de l’évaluation et du contrôle, pour que ces travaux soient les plus sincères et efficaces, nous avons proposé, avec mon collègue Jean-Noël Barrot, dans le cadre du groupe de travail sur le contrôle et l’évaluation créé en 2017, de transformer la formalité de la loi de règlement en véritable compte rendu de la gestion du budget de l’Etat par les ministres. C’est ainsi qu’est né le Printemps de l’évaluation, dont je suis fier, là-aussi, d’assumer une partie de la paternité. C’est une sorte de petite révolution, dans notre procédure en tout cas, qui a lieu depuis bientôt 3 ans désormais et j’espère qu’elle se maintiendra à l’avenir. Nous avions également envisagé la création d’une agence parlementaire d’évaluation, propre à l’Assemblée nationale, mais cette proposition, qui n’a pas encore vu le jour, mérite sans doute d’être affinée.

Car nous mettons en place des outils pour nous aujourd’hui mais aussi pour l’avenir. Le long historique des travaux sur l’évaluation et le contrôle, par et pour les parlementaires, le prouve.

Mais nous avons également besoin de partager et de bénéficier des compétences des institutions qui pratiquent l’évaluation financière, statistique ou sociale, afin d’effectuer, en amont du débat d’un texte, une forme de contre évaluation.

Comme vous le savez, les textes qui sont soumis au Parlement s’accompagnent d’une étude d’impact. Celle-ci, dans le cas des projets de loi, est rédigée par le Gouvernement et nous est transmise en même temps que le texte, c’est-à-dire peu de temps avant les débats. Nous ne disposons malheureusement d’aucun moyen pour effectuer une contre-expertise, une étude critique de ce document, auquel nous devons donc accorder foi. Sans faire de politique politicienne dans ce lieu, mais en restant factuel, l’étude d’impact du projet de loi sur les retraites, qui fait plus de 1000 pages, en est un exemple frappant et contribue au blocage des débats : aucun député n’a pu en faire une étude contradictoire. L’opposition répète que cette étude est fausse, mais sans s’appuyer sur aucun chiffre ni sur aucune donnée ! C’est là que le partage des compétences, des outils et des méthodes mis au point par les économistes, les universités et les cabinets d’étude privés pourraient nous être utiles.

Une approche me semble aussi importante : l’évaluation ne s’effectue pas seulement depuis Paris ou derrière un écran mais également sur le terrain, et c’est pourquoi il faut nous concentrer sur le concept du « Kilomètre zéro ». L’Assemblée nationale a lancé en juillet dernier une mission d’information sur la concrétisation des lois, qui approche l’évaluation sous l’angle de l’appropriation des lois par les parties prenantes : administrations, collectivités, mais également les usagers. Le Président Ferrand nous en parlera peut-être tout à l’heure.

Notre groupe parlementaire a créé également un outil, qui reste interne pour l’instant, et qui consiste à ouvrir aux citoyens un espace de critiques et donc d’évaluation, finalement, des mesures concrètes qui sont mises en place. Cette notion de « kilomètre zéro » me paraît fondamentale et correspond à la fois au contrôle de la bonne application des mesures et à l’évaluation de leurs résultats. L’objectif est-il atteint ? La mesure est-elle comprise et utile ? Il ne suffit pas de s’assurer qu’un texte est bien appliqué mais il faut vérifier qu’il correspond aux besoins ou aux ressentis qui peuvent être exprimés par les Français.

Et c’est là que je voudrais aborder un angle complémentaire, peut-être un peu hors sujet par rapport à ce qui s’est dit depuis ce matin, mais qui me paraît important, surtout après avoir connu un mouvement comme celui des Gilets jaunes.

Les Français ont-ils le sentiment que les lois sont utiles et bien appliquées ? Nous sommes là dans un registre beaucoup plus subjectif de l’ordre du ressenti des Français, de l’empathie dont nous pouvons faire preuve, voire plus largement de l’émotion, du pathos. Certes nous ne faisons pas les lois ou les normes, « pour faire plaisir aux gens », mais nous ne pouvons pas non plus faire être sourds aux désirs des Français et leur répondre que nous décidons pour eux, sans véritablement tenir compte de leurs attentes. En tout cas je pense que nous ne le pouvons plus, que nous ne pouvons plus nous permettre une forme de paternalisme de ceux qui savent. Nous, législateurs, sommes leurs représentants élus, bien entendus, mais pour autant nous devons rester au milieu des citoyens, au cœur de la société.

Personnellement j’appelle de mes vœux une nouvelle forme d’évaluation, qui pourrait ressembler à la Convention citoyenne mise en place par le Président de la République pour le climat, ou à la consultation que Jean-Michel BLANQUER a annoncée mercredi, basée justement sur le ressenti des enseignants et des propositions qu’ils pourront élaborer. Bien sûr tout mandat impératif est nul, mais devons-nous pour autant incarner une forme de concurrence entre notre représentativité et la légitimité des demandes des Français ?

Certains textes de loi permettent déjà d’illustrer une « boucle » de ce type et je peux citer un exemple que je connais bien : la loi relative à la bioéthique. Le texte initial comprend une clause de revoyure et précise la méthode à suivre : lancement des Etats généraux de la bioéthique par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), ensuite évaluation de la loi en vigueur par le Conseil d’Etat puis par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et le CESE, ce que j’ai personnellement eu l’occasion de faire en 2018 comme rapporteur, et enfin examen du projet de loi. Ainsi toutes les parties prenantes s’expriment, auditionnent et évaluent le texte en vigueur afin de l’amender, ou non d’ailleurs.

Nous avons connu aussi plusieurs autres exemples d’aménagements de lois passées suite à des retours d’usagers : aménagements de la loi EGALIM, de la loi NOTRe avec 2 textes et un 3ème qui arrivera d’ici la fin de l’année et qui comporte une notion intéressante, celle de la différenciation des territoires.

Ainsi les consultations des parties prenantes et notamment des citoyens constituent bien une évaluation ex-post des politiques publiques nous permettent de corriger les lois ou au moins de l’essayer. Nous devons valoriser et capitaliser sur cette méthode d’évaluation directe, populaire, qui nous permet, à nous parlementaires, de modifier voire de corriger certaines dispositions législatives.

Car bien entendu tout ceci n’est valable que si l’évaluation effectuée entraîne une action, une prise de décision politique. Je suis optimiste aujourd’hui car je pense que cette dynamique aboutit au renforcement du pouvoir de contrôle du Gouvernement qui nous échoit et finalement à l’exercice de la démocratie.


[1] Source : www.assemblee-nationale.fr/ 15/commissions-permanentes/commission-des-finances/mission-d-evaluation-et-de-controle/mission-d-evaluation-et-de-controle/secretariat/presentation/presentation